Je suis rentrée en 6ème à l’âge de 10 ans, je me suis sentie complètement perdue. Le collège était immense comparé à ma petite école primaire, un immense portail couleur verte, déjà rouillé, invitait à prendre une large allée bordée de végétation. Au bout se tenait un grand bâtiment gris clair de plusieurs étages comprenant de grandes fenêtres et à l’arrière, se trouvait une grande cour et une autre bâtisse d’une dimension identique. Le nombre impressionnant d'élèves était à la hauteur de la taille du collège. Je me retrouvais dans la même cour que des grands qui fumaient et dont la puberté naissante faisait apparaître l’ébauche d’une barbe, des presqu’hommes. Je n’avais pas grandi aussi vite qu’eux, je n’étais encore qu’une enfant qui se retrouvait une fois de plus parachutée, à l’instar du bâtiment de la cure thermale, au milieu des plus vieux et se sentant seule au monde. Mes copains de primaire avaient été envoyés dans un établissement à l’autre bout de la ville. Décidément cet isolement contraint ne me lâchait pas, j’étais destinée à rester seule. Je cherchais désespérément un visage familier mais n'apercevait que des inconnus.
Pour couronner le tout, dans ma classe, sur une trentaine d’élèves, nous n’étions que 3 filles, ce qui n’allait pas manquer de corser la situation. On sait bien que trois est toujours plus compliqué que deux et pour ne pas contrarier cette croyance, Isabelle et Christine furent amies dès le premier jour, ce qui m’imposa une exclusion et compliqua nettement mon intégration.
Cette solitude me collait à la peau comme un vieux chewing-gum, à croire que j’étais née pour l'endurer, sans pouvoir m’en échapper, une prison invisible mais bien présente, une destinée.
J’avais un an d’avance en comparaison des élèves de ma classe, je jouais toujours avec mes poupées Barbie, je me raccrochais encore au père Noël, j’avais le sentiment d'atterrir dans un monde parallèle ou dans une autre époque. J’étais encore très naïve. Le choc fût violent.
Le collège, comme chacun sait, nous contraint à changer de classe à chaque cours, ce qui déclencha de terribles angoisses : ne surtout pas se perdre dans les couloirs, bien noter l’étage et le numéro de classe, ne pas attirer l’attention, ne pas se faire remarquer, ne pas déranger…C’était le défi de chaque heure, une véritable épreuve. En même temps, il fallait se familiariser avec les différentes personnalités et caractères de nos professeurs, et s’adapter aux cours distincts de chacun d’eux. Moi qui adorais tout analyser, j’avais du pain sur la planche. Trop, je me sentais dépassée et désemparée.
Dans la cour, j'errais seule en traînant mes savates, en tentant d’avoir l’air totalement décontractée et sûre de moi, comme si c’était par choix, par option délibérée de ma part. Je ne trompais personne. On lutte sans relâche pour camoufler nos fêlures, notre intimité pour ne pas donner de grain à moudre aux autres. Je simulais un intérêt quelconque pour un livre, une action qui se passait en dehors des grilles, je prenais un air préoccupé et réfléchi. Un seul en scène lourd à porter.
Je reprenais mon passe-temps favori, sans me faire remarquer et de loin, je scrutais et étudiais chaque personne, fille ou garçon, surveillant, professeur ou directeur. Je m’imprègnais de tout ce que je découvrais, les tenues vestimentaires, la façon de se comporter, les tics, les regards, les cris, les moments de gênes, tout. J’avais la conviction que pour pouvoir m’integrer, il fallait que je devienne comme eux, que je calque tout.
Leurs vêtements paraissaient à des années lumières des miens, fidèles à cette image de petite fille modèle, alors que les années 75 propageaient des modes qu’on nommait “baba cool” ou “funk”, entre autres. Ma mère avait ressorti une de ses vieilles robes des années 60, très jaune, plissée et col claudine, qu’elle avait fait ajuster à ma taille par sa mère couturière. Marie répétait avec dédain, que pour elle, elle s’achetait des tailleurs de marques hors de prix mais que pour moi, elle reprenait ses vieilles robes qu’elle rapiécait. j’avais honte de la manière dont j’étais habillée, si j’avais pu m’échapper, me volatiliser, me cacher dans un trou de souris, je l’aurais fait. On ne voyait que moi alors que j’aurais souhaité disparaître. Chaque groupe de jeunes me regardait passer en ricanant. Au fil des semaines, j’étais devenue la risée de tous. Il ne fait pas bon être différent dans un collège.
J’étudiais de la même manière les comportements, les discours, les goûts, j’avais tellement envie de leur ressembler, avoir une vie sociale, des amis, de vieillir un peu. Je les enviaient.
Ils riaient, sortaient, discutaient, chahutaient ensemble, ils semblaient si proches et inséparables.
Moi, je trainais les pieds seule, rasant les murs, déambulant dans ma robe jaune vieilli, ou mon pantalon en velours vert pomme et mon sous-pull orange, ne sachant ou me diriger, perdue dans l’immensité de ces batiments, riant, sortant, discutant et chahutant avec personne. Pour couronner le tout, j’étais bien trop timide pour aller vers eux, je me sentais tellement inutile, gauche, convaincue d'être bête et de n’avoir aucune conversation.